La presse est un media puissant qui a du mal à le faire savoir. Savez-vous, par exemple, que chaque mois, 97% des Français lisent au moins une marque de presse et que 95% des 15-24 ans lisent (encore) la presse ? Analyse sur les résultats et nouveautés de l’étude One Next de l’ACPM
Par Emmanuel Cybeo, directeur des expertises plurimédia

Pourquoi la presse est-elle toujours associée au déclin ?

L’obsolescence de la mesure d’audience en est sans doute l’une des causes. Pendant des années, les mesures d’audience de la presse étaient fondées sur des questionnaires auto-administrés auprès d’un échantillon représentatif de la population. Le croisement de l’ensemble des informations collectées permettait d’avoir la donnée qui régit l’audience : la fameuse LDP (Lecture Dernière Période), c’est à dire le nombre de lecteurs touchés par un exemplaire durant sa période de parution (la journée pour les quotidiens, la semaine pour les hebdomadaires, le mois pour les mensuels etc.) Certes, on pouvait construire plein de croisements et créer des cibles incroyables, mais on était limités dans les applications.

Par exemple, on se doutait qu’en fonction des familles de presse, le niveau de reprises en mains était plus ou moins important mais celui-ci n’avait jamais été quantifié. Immuablement, le nombre de lecteurs était égal au nombre de contacts délivrés sur une parution.

De la même façon, on se doutait que le digital était un vecteur d’audience du media mais aucunes données ne permettaient de le prouver.

Enfin, aucune information crédible prouvant l’implication et la confiance des lecteurs envers les supports n’avait été communiquée.

Une étude One Next pleine de nouveautés

Trois ans après la dernière étude presse, et consciente de toutes les lacunes des études d’audiences précédentes, l’ACPM[1] a publié la semaine dernière la nouvelle étude One Next[2]. Désormais, elle prend en compte tous les contacts des Français avec les marques de presse :

  • Lecteurs (exemplaires papier et pdf)
  • Internautes (fusion avec l’étude Internet Global de Médiamétrie)
  • Lecteurs sur les principaux réseaux sociaux

À cela s’ajoutent les études classiques sur les cadres et sur les habitudes de consommation mais cela fera l’objet d’un prochain article.

Une méthodologie bien pensée

Sur la partie audience presse, l’ACPM se fonde sur 28 000 interviews. La grande nouveauté est le module Tempo qui permet de quantifier le taux de reprises en mains et ainsi différencier le nombre de lecteurs par titre du nombre de contacts délivrés par celui-ci. Comment ont-ils fait ? 5 000 panélistes armés de téléphones portables ont scanné les codes-barres des titres qu’ils lisaient, à chaque fois qu’ils les lisaient, à chaque fois qu’ils les reprenaient en mains !

Ainsi, il est désormais possible de connaître la distribution des contacts par jour sur une période beaucoup plus longue que la période de parution.

L’exemple de TV Magazine

  • Que disait l’étude One 2017 ? Elle recensait 11 355 000 lecteurs chaque semaine. Le nombre de contacts est égal au nombre de lecteurs. L’ensemble des contacts sont délivrés au jour de parution.
  • Dans l’étude One Next 2020, on découvre que TV Magazine a 10 734 000 lecteurs chaque semaine mais 18 638 000 contacts délivrés par parution. Cela signifie que chaque lecteur du magazine le reprend en mains en moyenne 1,7 fois. Une distribution de contacts est désormais possible par jour. Ainsi, pour notre exemple, une parution dans TV Magazine délivre encore des contacts à J+26.
Distribution des contacts pour 1 parution dans de TV Magazine par jour (en vert) et accumulation de couverture sur 26 jours (la courbe)

Et si on réconciliait print et digital ?

L’autre grande nouveauté est le dé-silotage des audiences print et digital. En effet, désormais, l’audience des marques presse est au centre de l’étude grâce à la fusion de One Next avec Internet Global de Médiamétrie. L’objectif est de prendre en compte les nouveaux usages des lecteurs et d’accélérer la mutation de la presse vers le digital. Aujourd’hui, 57% de l’audience des marques de presse est digitale. Il était donc urgent d’agir. Et le constat est sans appel :

  • 19 marques de presse touchent plus de 10 millions de Français chaque mois.
  • La part du digital est tellement importante pour certaines marques de presse que l’audience print peut paraître anecdotique. Par exemple, 87% de l’audience du Figaro peut être touchée via le digital.

La question de confiance

Enfin, 3ème nouveauté très importante dans un contexte de défiance généralisée, on peut quantifier l’engagement du lecteur ainsi que sa confiance envers le titre et/ou la marque de presse. Ainsi, l’étude nous permet de constater que 90% des Français sont attentifs à ce qu’ils lisent, et 88% ont confiance en ce qu’ils lisent.

L’avenir de la presse dépend aussi de nous

Pour résumer, on peut dire que la presse reste puissante en France et démontre qu’elle sait innover. La capacité à temporaliser les contacts sur la partie print peut paraître anodine mais c’est une nouvelle vision du médiaplanning presse qui s’ouvre à nous avec une prise en compte de la distribution de contacts sur une période plus longue. L’agrégation des audiences print et digitales permet de mettre en lumière la puissance des titres. La difficulté sera sans doute la monétisation croisée print + digitale pour laquelle agences et régies sont loin d’être prêtes. Il faudra sans doute repenser les organisations. Les sujets de confiance envers les marques presse sont louables mais les arguments sont faibles face aux GAFA. Il est impératif de repenser les investissements à destination des marques de presse comme des actes citoyens. Sans cela, la liberté de la presse et la diversité des points de vue ne sera qu’un beau et lointain souvenir.

[1] Alliance pour les Chiffre de la Presse et des Médias
[2] https://www.acpm.fr/Les-chiffres/Audience-presse/OneNext-2020-V1